Mode : L’incroyable destin de K.Jacques, le cordonnier devenu star de Saint-Tropez
Symbole de Saint-Tropez depuis trois générations, les K.Jacques sont toujours fabriqués dans le Midi mais désormais vendus aux quatre coins du monde. Bardot, Picasso, Romy Schneider… tous ont porté ses sandales iconiques dans les ruelles de Saint-Tropez. Retour sur une success-story 100% azuréenne.
K.Jacques, c’est l’épopée d’un homme parti de rien et devenu le chausseur le plus connu de la French Riviera. Mais c’est aussi l’histoire d’un lieu, Saint-Tropez et d’un produit, une sandale en cuir aux finitions parfaites.
En 1920, Jacques Keklikian, âgé de 10 ans, fuit l’Arménie et arrive en France. D’abord installé dans le Nord, il « descend » dans le Sud au début des années 1930, car, paraît-il, « la main d’œuvre manque à Draguignan ». Avec sa femme Élise, il s’établit à Saint-Tropez, alors petit village brûlé par le soleil. Il y fait chaud, on y vit de la pêche et les locaux portent des sandales. Observateur et manuel, Jacques ouvre en 1933 un modeste magasin-atelier 39, rue Allard. Lui est à la confection, son épouse, au style. Très vite, les clients viennent pour ses modèles à la fois robustes et esthétiques et n’hésitent pas à lui demander des « ajustements » pour des chaussures pratiquement sur-mesure.
« Le luxe est avant tout un savoir-faire »
« Réaliser une sandale c’est très pointu. » Chez K.Jacques, on ne blague pas avec le savoir-faire. L'ensemble de la production est fabriqué dans la région, toujours à la main. Soixante minutes de travail en moyenne sont nécessaires pour chaque paire, 46 opérations manuelles sont faites par 28 artisans et jusqu’à 123 éléments sont assemblés pour les modèles les plus complexes. « Au final, c’est 180 paires qui sortent de nos ateliers par jour en été (avec beaucoup de personnalisation) et 250 en hiver. »
Et tout est étudié avec une attention quasi-chirurgicale. L’emplacement des lanières, le choix du cuir, la robustesse de la semelle, mais aussi sa souplesse… « C’est un travail de précision », souligne Bernard Keklikian, « Pour chaque modèle, nous développons des ébauches, des maquettes. Mais le meilleur essai reste le test dans la rue, dans toutes les conditions atmosphérique. Si l’esthétique est belle, mais que le chaussant est mauvais, alors on laisse tomber. »
La semelle, sur laquelle repose le poids du corps, doit être double, intérieure (dite première) et extérieure (dite d’usure) et réalisée dans un cuir très épais cousu avec un fil de lin importé d’Irlande. La tige (ou empeigne), qui maintient le pied, est quant à elle travaillée dans une peau plus souple. Près de 250 matières et couleurs différentes nourrissent les étals de l’atelier (cuir gras double tannage, veau, chèvre, python, alligator, etc.). Enfin, le fraisage et le lustrage manuel achèvent les opérations et lissent les contours de la semelle afin d'obtenir un fini glacé.
Devenu objet de mode, on aperçoit les modèles emblématiques sur Alessandra Ambrosio, Diane Kruger, Gisele Bündchen, Emily Ratajkowski ou Emma Watson. Mais la fan numéro un reste Kate Moss qui en achète plusieurs paires chaque été.
La marche vers le succès
Jacques et Élise ont trois enfants, Bernard, Georges et Liliane qui grandissent au milieu du parfum du cuir, passionnés par le métier de leur père. Dans les années 1960, les artistes, peintres, auteurs, cinéastes français et étrangers se retrouvent dans le Sud chaque été. Saint-Tropez est à la mode. Comme K.Jacques. Brigitte Bardot commande ses sandales en 36,5. Romy Schneider et Alain Delon portent les leurs au bord de leur piscine. Madeleine Renaud, Françoise Giroud, Joan Collins, Cocteau, Colette, Paul Géraldy, Oliver Hardy. Même Picasso se pique pour ces chaussures ! « J’ai vu passer beaucoup de monde mais pas Picasso. J’étais trop petit. Cependant, dans nos archives, nous retrouvons la trace de sa commande spéciale. Il avait dessiné sa propre sandale ! » s’amuse Bernard Keklikian, aujourd’hui dirigeant de K.Jacques.
Rapidement la petite boutique commence à se faire une clientèle et bien sûr, un nom. Ce sera K.Jacques. Plutôt moderne pour l’époque. « L’histoire de notre marque est drôle : en février 1935, mon père a reçu un devis pour le tampon qui sert à marquer les semelles à chaud. Chaque lettre avait évidemment un coût. Alors pour économiser, il a raccourci son patronyme à une initiale. »
À la fois local et international
Pour Bernard Keklikian, le local est la clé. Peu importe si le volume reste « modeste ». « Un jour, un homme m’a suggéré de tout faire fabriquer en Chine. Je lui ai hurlé dessus. Avoir ce genre d’idées, c’est ne rien comprendre à notre produit ! » Chargée d’histoire, la maison K.Jacques trouve ses racines dans la célèbre terre de la Côte d’Azur. Alors, pourquoi aller chercher ailleurs ce qui fonctionne très bien « ici » ?
En plus du souci de production locale et d’artisans fidèles et engagés, l’objectif de la maison est également de proposer un produit intemporel, qui dure longtemps. « Je ne me vois pas faire autre chose que des sandales. Chaque année nous avons de nouvelles collections, mais il faut garder un produit très pur, très sobre pour qu’il ne se démode pas. C’est cette rareté pérenne qui m'intéresse. » Du coup, pour développer sa créativité, la maison mise sur des collaborations en édition limitée : Karl Lagerfeld, Kenzo, Balenciaga, Givenchy, Jean-Charles de Castelbajac, Isabel Marant ou Golden Goose...
Fort de son succès, K.Jacques exporte 70% de sa production made in Saint-Tropez sur les cinq continents. « Nous avons même fait des paires pour Michelle Obama. L’artisan qui a réalisé ses chaussures a inscrit “Yes, we can” au feutre entre les semelles, avant de les coller ensemble. La première dame des États-Unis a donc marché tout l’été avec le slogan de son mari aux pieds ! Nous étions les seuls à le savoir. »
Publié le MARDI, 16 JUIN 2020
par Benedicte Burguet
© Courtesy of K.Jacques